L’arrivée d’un nouveau Directeur n’est jamais sans conséquences pour une institution et encore plus lorsque cette dernière cumule à elle seule 45 ans d’existence. Au-delà des mouvements qu’elle peut produire, cette « arrivée » est une occasion unique, commune aux premières fois, de prendre le temps de rencontrer l’autre dans son entièreté ; de se donner cette liberté de chercher à comprendre le fonctionnement, la pratique, la philosophie ; de questionner ou de remettre en question, un ordre établi, des prérequis, une manière de penser, toujours dans l’optique de faire évoluer notre pratique éducative et les réponses apportées aux personnes accompagnées.

Comprendre les contours de la Prévention Spécialisée s’est avéré être un indispensable pour mesurer la spécificité de ce cadre d’intervention qui a vu son institutionnalisation s’officialiser avec l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972 et les circulaires afférentes. Pour autant, l’histoire de la Prévention Spécialisée puise ses origines durant la Deuxième Guerre Mondiale à travers l’expérimentation portée par François DELIGNY qui a proposé une intervention innovante, l’aller vers, auprès de jeunes en marges, victimes des affres de la guerre qui les ont conduits à la rue, sans familles, sans scolarité, sans buts. Ces expériences menées par des militants associatifs des mouvements d’éducation populaire, mais aussi des juges, des travailleurs sociaux et de l’éducation surveillée se sont poursuivies durant l’après-guerre dans des contextes géographiques différents. Cette nouvelle approche, replaçait les jeunes au centre de l’accompagnement en investissant notamment, le milieu naturel de ces derniers et en leur proposant d’échapper à une destinée toute tracée vers la marginalité. Cette intervention « hors murs » a connu une forte structuration dans les années 1960. Impulsée par une période de croissance économique et un état social fort, le champ de l’éducation spécialisée se professionnalise avec notamment l’apparition du diplôme d’état d’Educateur Spécialisé et s’institutionnalise avec une définition de plus en plus précise des politiques sociales. Les constructions de logements collectifs et de logements sociaux se développent fortement en périphérie des agglomérations. Ces quartiers deviendront plus tard les « banlieues » ou les quartiers populaires visés aujourd’hui encore par les politiques de la ville.

Née d’une aventure innovante et militante, circonscrite dans des localités géographiques éparses, la Prévention Spécialisée se précise. Elle se voit dotée d’un texte législatif, organisateur de pratiques permettant à chacun de se définir dans un ensemble, tout en gardant des spécificités locales, inhérentes à ce désir et à « une méthodologie » de prise en charge adaptée aux milieux dans lesquels elles s’exercent. Ainsi, l’arrêté interministériel du 4 juillet 1972 officialise les Clubs et Equipes de Prévention initialement créées en 1963, sous l’impulsion de Georges POMPIDOU, alors Premier Ministre.

La circulaire, Santé, Jeunesse et Sports du 17 octobre 1972, précise que la prévention réalisée par les Clubs et Equipe est une action spécialisée qui se différencie de la prévention naturelle réalisée par les mouvements de jeunesse, les associations sportives, les patronages, les maisons des jeunes et de la culture, … Elle se différencie également de l’Action Educative en Milieu Ouvert à laquelle il est recouru dans le cadre de la Protection de l’Enfance en danger et qui est plus individuelle. La Prévention Spécialisée est vue comme une action spécifique, complémentaire des autres formes d’action sociale, dont son action est développée dans un milieu où les phénomènes d’inadaptations sociales sont importants.

La loi de décentralisation du 22 juillet 1983 annonce une ère nouvelle pour les acteurs de Prévention Spécialisée. Opérant selon le principe des blocs de compétences, elle organise le transfert du domaine sanitaire et social sous la responsabilité de l’Etat vers les Conseils Généraux. La Prévention Spécialisée, intégrée à l’Aide Sociale à l’Enfance se retrouve ainsi sous la responsabilité des Présidents des Conseils Généraux. La loi du 6 janvier 1986 adapte la législation sanitaire et sociale aux transferts de compétences en matière d’aide sociale.

Très largement associatives, nombre de structures eurent à faire face à une demande de clarification de leurs missions, et certaines se virent mises en concurrence par le système des appels d’offres, ou alors purement et simplement déconventionnées. Manquant cruellement de repères, les conseillers généraux ont reproché un manque de lisibilité de l’intervention des éducateurs de rue, encore fortement imprégnés des notions de respect de l’anonymat et de non institutionnalisation de leurs pratiques.

L’ordonnance du 1er décembre 2005 relative aux procédures d’admission à l’Aide Sociale et aux établissements et services sociaux et médico-sociaux, assimile les structures de Prévention Spécialisée à des établissements sociaux et médico-sociaux relevant désormais de la loi du 2 janvier 2002, réformant l’action sociale.

La Prévention Spécialisée s’inscrit dans la politique de Protection de l’Enfance dont les orientations sont déclinées dans le schéma Départemental de Protection de l’Enfance et plus largement dans les politiques sociales, urbaines, économiques et culturelles du Département. Dans le domaine de la Protection de l’Enfance, la prévention concerne aussi bien la prévention des inadaptations sociales que la prévention de la maltraitance mais aussi de la délinquance et des conduites à risques. Elle prend en compte les données de contexte départemental, local et national, afin de s’inscrire dans une logique de politique globale d’action sociale.

La loi du 5 mars 2007 réformant la Protection de l’Enfance donne à la prévention une dimension multiple susceptible de mieux prendre en compte les aspects médicaux, médico-sociaux, sociaux et éducatifs du quotidien d’un enfant, mais également de celui de ses parents. Cela suppose la mise en synergie de compétences professionnelles diverses visant à la réalisation d’actions de prévention variées et bien articulées entre elles

En 2016, le rapport d’orientation relatif à la Prévention Spécialisée en Isère a redéfini les contours d’intervention. Ainsi, le public cible de la Prévention Spécialisée sont les jeunes de 12 à 18 ans, avec une attention maintenue concernant les jeunes de 18 à 20 ans. La Prévention Spécialisée intervient en direction des jeunes en rupture ou en risque de marginalisation, d’isolement ou de ségrégation sociale et culturelle et des jeunes en situation de conflit ouvert ou non avec leur environnement.

Les territoires d’intervention de la Prévention Spécialisée sont les quartiers prioritaires et les quartiers de veille active de la politique de la ville du fait que ces territoires concentrent le plus grand nombre de familles rencontrant des difficultés socio-économiques.

Dans son rapport de 2016, le département défini trois axes prioritaires d’intervention – la prévention du décrochage scolaire des collégiens – la prévention de la radicalisation des jeunes – l’insertion sociale, scolaire et/ou professionnelle des jeunes.

Cinquante ans après son institutionnalisation, la Prévention Spécialisée occupe une place essentielle dans les dispositifs de la protection de l’enfance. En effet, les textes qui la définissent lui confèrent une plasticité qui facilite son adaptation à l’évolution des problématiques des jeunes, notamment à travers un diagnostic et une analyse territorialisée, des dysfonctionnements sociaux et des phénomènes d’inadaptation.

Damien DONNAT